Bilan des Jeux Olympiques 2002

 

Présentation du tournoi olympique - Résultats des Jeux Olympiques 2002 - Les Jeux de la propagande

 

Premier : Canada. Après cinquante ans de disette, le Canada se pare à nouveau d'or olympique. Malgré la pression que n'a cessé de stigmatiser Wayne Gretzky, malgré deux premières rencontres en demi-teinte, cette équipe a su s'améliorer au fil du temps et a logiquement gagné en finale. Dans un duel nord-américain typique, ce sont les Canadiens qui ont le mieux tiré leur épingle du jeu. Elle n'aura peut-être pas soulevé les foules à l'étranger (Gretzky n'avait peut-être pas tort) comme la Suède semblait s'apprêter à le faire, mais elle a bien su interpréter son registre et réussi à tirer parti de ses qualités. La constance qui lui a peut-être fait défaut dans la compétition a aussi manqué d'une ligne à l'autre. La créativité du duo Lemieux-Kariya et le travail offensif le la ligne Gagné-Sakic-Iginla ont clairement éclaté, contrairement à Lindros, Shanahan ou même Peca, globalement décevants. En défense, Pronger a fait un tournoi correct, mais son coéquipier MacInnis, qui a commis trop d'erreurs et a été trop lent, a été nettement en dessous de ce qu'on était en droit d'entendre. Mais le résultat était sans doute beaucoup plus important que la manière pour les inventeurs du hockey, qui avaient une réputation à défendre. Avec un jeu physique, direct, sans fioritures, mais ils sont restés concentrés sur leur objectif et ont parfaitement digéré un à un les obstacles qui se présentaient à eux sans jamais sombrer dans le doute, atteignant leur plein potentiel au meilleur moment.

Deuxième : Etats-Unis. Herb Brooks n'est pas passé loin de devenir un demi-dieu en rééditant son miracle sur glace. Mais dans une nation qui vit dans le culte des vainqueurs, la médaille d'argent est un échec. Pourtant, les Américains ont remporté une victoire morale en rachetant complètement leur comportement de Nagano et en montrant qu'ils pouvaient poursuivre un objectif olympique avec abnégation. Héros de la Coupe du Monde 1996, Mike Richter n'a pas pu transformer le passé en présent, pas plus que Brooks ou Hašek. Les Etats-Unis ont fait un tournoi solide mais sont tombés sur une équipe plus douée et qui avait trouvé sa cohésion. On aura tout de même apprécié le travail devant le filet de John LeClair, la hargne de Brett Hull, la fougue d'Adam Deadmarsh et le talent offensif de Modano et Amonte.

Troisième : Russie. Mine de rien, c'est la seule équipe à avoir ramenée une médaille à la fois de Nagano et de Salt Lake City. Mais les Russes visaient mieux, et étaient capables de mieux en talent pur. Cette fois, les stars de la NHL n'ont plus aucune excuse : ils avaient l'entraîneur qu'ils voulaient (Fetisov), ils n'avaient pas à s'inquiéter de leur dernier rempart (Khabibulin leur a même gagné le quart de finale), bref, ils devaient montrer qu'ils étaient capables de se fondre dans un collectif. Mais ils ont été absents pendant deux tiers-temps en demi-finale contre des Américains beaucoup plus concernés par leur objectif commun. Il n'y a que face aux Tchèques qu'ils ont fait un match plein et ont témoigné d'un vrai esprit d'équipe. Au chapitre des déceptions, la ligne des frères Bure et de Zhamnov est à ranger au premier rang.

Quatrième : Belarus. Paradoxalement, cette équipe était sans doute moins forte qu'à Nagano. Elle n'avait plus les capacités physiques de tenir chacun des matches, mais elle a su gagner celui qu'il fallait. Sortie de justesse du tour préliminaire, elle s'est fait oublier et son jeu de contre-attaques a surpris la Suède. On la sentait fatiguée physiquement, et elle n'aurait pas été capable de réussir deux exploits. C'est donc trop court pour la médaille, mais cette quatrième place est déjà merveilleuse et inespérée. Les nombreux trentenaires vont bientôt partir, mais les jeunes menés par Dmitri Dudik sont capables de prendre la relève. Après une légère période de transition et avec l'arrivée des Kastsitsyn et compagnie, le Belarus, une fois revenu dans l'élite mondiale, s'y installera durablement. Contrairement à d'autres équipes de l'ex-URSS, il ne vit pas que sur les restes de l'école soviétique et le plan de construction de patinoires dans de nombreuses villes de province est gage d'un avenir radieux.

Cinquième : Suède. Le mercredi 20 février 2002 est un jour à marquer d'une pierre noire dans l'histoire du sport suédois, et d'une pierre blanche dans le jardin de la glorieuse incertitude du sport, qu'on aimerait voir s'inviter plus souvent dans les compétitions de hockey sur glace. Les Suédois s'étaient sans doute cru trop beaux, et n'ont pas été à la hauteur d'un quart de finale olympique. A ce stade de la compétition, on ne peut pas se permettre de jouer à moitié et d'avoir déjà la tête au tour suivant. Mats Sundin, qui a accompli un excellent tournoi, donnait parfois l'impression d'être le seul à se battre dans ce quart de finale. En phase de poule, les Scandinaves avaient pourtant ébloui le monde du hockey. On s'attendait à ce que Hardy Nilsson pratique faute du temps un jeu bâtard plus défensif, mais il a finalement pu incorporer pas mal d'éléments de son torpedo. Son hockey spectaculaire a parfaitement exploité la largeur de la glace olympique, donnant une leçon tactique aux Canadiens. Les joueurs se sont fondus dans un collectif qui a donné l'impression d'évoluer ensemble depuis des lustres, et a montré toute la science du jeu de l'école suédoise. Après le crash soudain contre le Belarus, reverra-t-on ce hockey qui donne une telle impression de facilité et de maîtrise collective, et qu'on aimerait tant voir bientôt concrétiser ses qualités par des titres ?

Sixième : Finlande. Sans aller jusqu'à certains commentaires extrémistes qui prétendent qu'il n'y a pas de talent dans l'équipe finlandaise si on lui enlève Selänne, elle n'a pas la profondeur de ses rivales. Elle s'est surtout reposée sur les excellents duos Selänne - Lehtinen et Kapanen - Ylönen et a fait un tournoi en dents de scie, trop timide en début de rencontre contre la Russie et le Canada. Elle a réussi à renverser la situation une fois, mais pas deux, et a quitté la compétition en quart de finale sans qu'on puisse tout à fait jauger de sa valeur. Elle a peut-être besoin d'un succès en championnat du monde pour se reforger un mental de vainqueur qu'elle a un peu perdue, comme si elle revenait à l'époque d'avant 1995, quand elle était trop révérencieuse envers les grands du hockey mondial.

Septième : République Tchèque. Dominik Hašek connaissait la difficulté du challenge, il n'a pas pu quitter l'équipe nationale sur un exploit. La roue tourne pour les Tchèques, insolents de réussite ces dernières années, mais qui ont été subitement confrontés à leur inefficacité offensive, qui atteignait des proportions dramatiques en jeu puissance. Le palet collé à la crosse, Jágr a fait ce qu'il voulait, sauf marquer. Elias et Sýkora n'ont pas été plus en réussite, au contraire. Havlat a surpris sur la première ligne et la précision de son tir a été remarquée. En défense, on retiendra la bonne performance du jeune Skoula mais aussi les erreurs du duo Spacek - Kubina. Après un match en roue libre face à l'Allemagne, les Tchèques ont fait deux matches solides contre deux belles équipes, la Suède et le Canada, mais il leur manquait l'ingrédient en plus, la magie de Nagano. Le charme ne pouvait pas fonctionner deux fois, le talent de Hašek ne suffisait plus, et, ironie du destin, ce sont les Russes, avec un gardien en état de grâce, Khabibulin, qui les ont éjecté de la compétition. Leur titre olympique perdu, il leur restera à défendre leur titre mondial, en sachant qu'ils ne feront sans doute plus peur.

Huitième : Allemagne. Hans Zach a parfaitement réussi son coup au tour préliminaire. Son système, qui ne laisse qu'un seul homme pour attaquer le porteur du palet et cherche toujours à être en surnombre dans la zone défensive, a été un casse-tête pour des équipes techniquement plus douées, mais qui se sont heurtées à un mur. Cette tactique a cependant ses limites contre un adversaire moins fort, l'Autriche, contre laquelle il a fallu faire le jeu. La volonté et l'engagement des Allemands ne permet pas non plus de compenser des écarts de niveau trop importants, comme on l'a vu au second tour. Mais même une équipe qui déborde de talent peut connaître un mauvais jour, et la rencontre contre le Canada a montré que tout pouvait être possible dans ce cas. Outre la révélation Seliger au tour préliminaire, les satisfactions viennent des plus jeunes en défense : alors que Lüdemann n'est jamais rentré dans la compétition et que Kunce s'est surtout fait remarquer comme le joueur le plus pénalisé du tournoi, la nouvelle génération, et notamment Dennis Seidenberg, a été excellente. De quoi renforcer la volonté de rajeunissement affichée par Zach, quitte à pousser certains vers la sortie ? En attaque, on a surtout apprécié le duo Lathan-Soccio, alors que le renfort de NHL Jochen Hecht s'est montré décevant dans le travail défensif, tout comme Stefan Ustorf.

Neuvième : Lettonie. Les Baltes déploient toujours leur jeu offensif très plaisant, mais leur attaque flamboyante s'est éteinte contre une défense allemande mieux organisée. Privés d'espaces, ils n'ont pas pu imposer leur jeu et n'ont jamais trouvé la solution. Derrière, Arturs Irbe, attendu comme un messie après les erreurs de Naumovs, ne leur a pas été d'une grande aide, au contraire. Compte tenu de son inconstance, il n'a rien d'une assurance tous risques. Curt Lindström dispose d'une bonne dose de talents, une sorte de mini-laboratoire de sa Finlande de 1995, mais pas au moins de déroute un adversaire en place défensivement. Il sera intéressant de voir, si on lui en laisse le temps, comment il saura s'adapter à cet état de fait aux championnats du monde.

Dixième : Ukraine. La bonne surprise du premier tour, notamment pas son excellent match contre la Suisse où elle a inscrit un quatrième but d'anthologie, une action digne de la maîtrise collective de l'ancienne URSS. Techniquement et physiquement supérieure, elle a peut-être disputé là le meilleur match de son histoire. Maintenant qu'on la sait capable d'évoluer à ce niveau, on la regardera d'un autre śil et on exigera d'elle qu'elle s'en montre digne à chaque sortie, ce qu'elle n'a pas fait en quittant le tournoi sur une triste déculottée infligée par la Lettonie.

Onzième : Suisse. Face à des équipes dont on sent qu'elles se connaissent en équipe nationale depuis des années, la Suisse donne l'impression d'avoir tout à réapprendre. Dominée physiquement par la France et même l'Ukraine, elle a pâti de la non-sélection de joueurs comme Demuth et Bezina. Seule la ligne de Lugano (Aeschlimann, Jeannin et Rötheli) a montré un jeu collectif digne de ce nom. Les autres sont tout simplement incapables d'élever leur niveau de jeu en équipe nationale, comme si les efforts entrepris ces dernières années étaient réduits à néant. Est-ce la fin d'un cycle pour Ralph Krueger ? Non, car il sort paradoxalement renforcé de ces Jeux. La virée nocturne de Marcel Jenni et Reto Von Arx (deux récidivistes qui avaient agi de même aux Mondiaux de 1997) a "grillé" ces deux joueurs. Dans la haine réciproque que se vouent le sélectionneur Krueger et Von Arx, ce dernier n'a pas joué finement, et a renforcé son rival en se sabordant. Son accueil dans les patinoires suisses risque d'être intéressant à suivre. Récidiviste, Marcel Jenni avait été également viré de Lugano pour des problèmes de comportement. Sa situation n'est pas plus confortable du fait de son exil en Suède : son entraîneur à Färjestad n'est autre que Bengt-Åke Gustafsson, l'adjoint de Krueger à Salt Lake City ! Pendant ce temps, trois autres joueurs, dont le dernier appelé en sélection, Björn Christen, rasent les murs : sortis la veille avec Jenni et Von Arx, ils sont revenus à temps dans le droit chemin et s'en sont ainsi tirés avec des excuses à leurs coéquipiers. Autre perdant de ces Jeux à un degré moindre, Aebischer. Coupe Stanley ou pas, il a perdu son aura et Martin Gerber lui a pris le poste de titulaire à la régulière.

Douzième : Autriche. Oubliées, les dernières places de Lillehammer et Nagano. L'Autriche a désormais de quoi espérer avec une jeune génération qui a su crânement jouer sa chance olympique. Ce sont au contraire les leaders attendus qui ont failli : si Gerhard Unterluggauer a été le meilleur défenseur, Christoph Brandner n'a pas été digne de son statut de star de la DEL. L'Autriche a été parfaitement au niveau, mais en revanche lourdement péché par manque d'efficacité, notamment contre les Allemands et les Suisses qu'elle a sérieusement mis à mal.

Treizième : Slovaquie. Ils peuvent bien ressasser leurs griefs contre la NHL et l'injustice de la formule, mais ils connaissaient comme tout le monde les règles du jeu et avaient les moyens de s'en sortir sans cela. Peter Stastny était annoncé comme le "manager de l'année" par un article laudatif du site de l'IIHF. La vérité est qu'il a fait fausse route en cherchant à appeler le plus de joueurs de NHL possible. Avec trois lignes de l'équipe qui avait effectué la préparation, plus une seule ligne laissée libre pour des renforts réellement capables d'apporter un plus (Šatan notamment), cette équipe se serait sans doute qualifiée face à des adversaires à sa portée. Ce sont ainsi deux joueurs "européens", Lintner (MoDo) et Petrovický (Ambrì), qui ont fait la meilleure impression. Stastny, demi-dieu en Slovaquie, étant intouchable, c'est Ján Filc qui va devoir assumer l'élimination. Il a déjà prouvé qu'il était un très bon entraîneur, mais il a lui aussi commis des erreurs stratégiques en donnant l'impression de naviguer à vue. Déboussolé par le déroulement du match contre l'Allemagne, il a réagi avec précipitation et a hypothéqué la suite du tournoi en tentant de renverser le cours d'une rencontre déjà jouée. Premièrement, en faisant rentrer en catastrophe Palffý après la mi-match, ce qui selon l'accord avec Los Angeles lui interdisait de disputer le match suivant. Deuxièmement, en sortant son gardien, ce qui a entraîné un but en cage vide quasi-éliminatoire. Les joueurs évoluant en Europe, qui avaient été écartés juste avant la compétition après avoir montré leur solidité en matches amicaux, avaient de quoi être amers en assistant au triste spectacle de cette demi-équipe humiliée par l'Autriche.

Quatorzième : France. Les anciens voulaient réussir un nouvel exploit pour qu'on cesse enfin de se référer à Albertville, ils n'y sont pas parvenus. Ils ont tout donné contre la Suisse et le Belarus et leur élimination s'est jouée à très peu de choses. Il vaut mieux oublier en revanche la triste prestation des Bleus lors des deux derniers matches. Il est dommage que la carrière internationale de Philippe Bozon et Denis Perez se termine par cette dernière place. Ils laissent un vide qui ne sera pas comblé de sitôt. Il y a néanmoins eu quelques satisfactions dans ce tournoi. Ainsi Maurice Rozenthal a-t-il enfin transposé son talent au niveau international, son expérience suédoise l'a sans aucun doute aidé à franchir ce cap. Dans un contexte différent du championnat, Jean-François Bonnard a été irréprochable et a fait taire tous ses détracteurs en montrant qu'il s'acquittait de son statut d'international avec sérieux. Et puis Yorick Treille et Laurent Meunier sont plus que jamais les futurs fers de lance de l'attaque tricolore. Leur travail de sape est toujours aussi précieux, mais il leur reste toujours à le concrétiser par des buts. A court terme, en l'absence de Bozon, le manque d'efficacité constituera le gros problème de l'équipe de France, qui a également beaucoup de travail à effectuer dans les unités spéciales, aussi bien en infériorité qu'en supériorité.

Marc Branchu

 

Retour à la rubrique articles