Les joueurs allemands menacés

 

La DEL a fait une belle bourde en décidant de limiter le nombre de joueurs allemands la saison prochaine, après avoir voté un règlement peu réfléchi qui ne manque pas de provoquer des réactions scandalisées.

Créée avec force et fracas, la ligue professionnelle allemande, la DEL, avait tout envoyé valser lorsqu'elle fut portée - en deux temps - sur les fonts baptismaux, et essaie aujourd'hui de rattraper le coup en constatant l'ampleur du désastre. Elle a renoué le dialogue avec la fédération allemande, et les deux entités vont enfin s'accorder pour mettre en place un système de promotion/relégation à l'issue de la saison prochaine. Face à l'effondrement de l'équipe nationale (descente en groupe B), la DEL s'est attaquée au problème des joueurs allemands.

Elle a favorisé l'entrée des espoirs et entamé le chantier de la limitation du nombre d'étrangers. Dès cette saison, ceux-ci n'étaient plus que 16, nombre qui passera à 14 l'an prochain et à 12 en 2002/03. Les joueurs allemands, encore peu nombreux, retrouvaient enfin de quoi espérer se faire une petite place au soleil. Mais tout cela peut s'effondrer, si les efforts consacrés à la formation ne sont pas suivis d'effets une fois que ces joueurs ont atteint leur maturité.

C'est le risque qui plane depuis la dernière assemblée de la DEL, tenue à Francfort fin janvier, où la majorité des clubs de DEL (13 voix sur 16) ont voté la réduction des effectifs à 18 joueurs, non compris les "Förderlizenzen", ces "contrats espoir" pour les jeunes de moins de 23 ans. Cette décision a été prise pour réduire les coûts, car les clubs connaissent actuellement des difficultés financières en raison d'affluences en baisse, le public se lassant d'une saison interminable. Multiplier le nombre de matches (60 en saison régulière) n'a pas augmenté les recettes d'autant, comme certains l'espéraient.

Mais ce règlement a un effet pervers : 18 joueurs - 14 étrangers = 4 joueurs allemands seulement !

Quel avenir auraient donc les joueurs allemands une fois formés, passé le cap des 23 ans ? L'argument des défenseurs de cette règle est que les clubs qui veulent jouer avec une quatrième ligne peuvent au moins se permettre d'engager de jeunes allemands. D'aucuns s'inquiètent de savoir s'il y a assez de jeunes joueurs capables de se mettre au niveau, les autres craignent au contraire que les clubs choisissent la facilité, c'est-à-dire jouer avec trois lignes.

Mais le principal problème est ailleurs : si, en prenant pour base un effectif de 22 joueurs (quatre lignes et deux gardiens), on laisse quatre places aux Allemands de plus de 23 ans et quatre aux Allemands de moins de 23 ans, cela donne une curieuse pyramide des âges des joueurs de hockey ! Après 23 ans, les joueurs du cru verraient ainsi leur chance de jouer dans l'élite se réduire considérablement.

Rapidement, des voix se font entendre pour dénoncer l'absurdité de ce règlement. Les joueurs allemands, qui voient leur avenir directement menacé, montent également au créneau. Le président de l'union des joueurs professionnels, Thomas Brandl, déclare ainsi : "Les joueurs allemands gisent déjà au sol. Voilà qu'on les piétine."

Cela ne semble pas déranger le président de la DEL, Gernot Tripcke, qui défend ce règlement concocté par le président du conseil d'administration, Gerd Schröder (Francfort). Il renvoie Brandl dans les balustrades en déclarant : "Ceux qui râlent, ce sont ceux qui ne jouent plus pour l'équipe nationale depuis des années."

Ce n'est pourtant pas le cas de deux joueurs qui participent avec l'Allemagne au tournoi de qualification olympique : Jörg Mayr et Christian Künast. Le premier est le vice-président de l'union des joueurs, et affirme : "Cela menace l'existence des joueurs allemands et c'est catastrophique à long terme pour l'équipe nationale." Le deuxième, second gardien à Munich, symbolise le problème particulier posé aux gardiens allemands. Son contrat prend fin à la fin de la saison, et il ne sera probablement pas renouvelé à la fin de la saison si ce règlement est entériné : "J'ai 30 ans, je suis international et je peux sûrement jouer encore cinq ou six ans. Me voilà soudain près de la sortie." Christian Künast a gagné une place de gardien titulaire dans la sélection allemande après un excellent tournoi de qualification olympique.

En effet, les places réservées aux joueurs allemands étant comptées, les deuxièmes gardiens risquent de sauter. Les clubs les remplaceront par des gardiens de moins de 23 ans, qui, trop inexpérimentés, n'auront alors plus l'occasion de devenir titulaires pour certains matches.

À cette objection, Tripcke reconnaît qu'il n'y avait pas pensé. Il propose de réparer cette erreur... en réservant obligatoirement une des quatre places pour le deuxième gardien. Du coup, ça ne laisserait plus que trois places aux joueurs de champ allemands. On appréciera...

Le syndicat des joueurs a peu de pouvoirs ; les supporters, qui ont confectionné des banderoles dénonçant cette règle et la stupidité des dirigeants, en ont encore moins. Pour obtenir gain de cause, certains ont proposé de boycotter les championnats du monde organisés à domicile en mai prochain. Cette option n'a heureusement pas rallié les suffrages, car cela aurait équivalu à un suicide pour le hockey allemand. La menace a été levée lors du tournoi de qualification olympique par les joueurs. Pour faire entendre leur voix, ceux-ci ont fait circuler une pétition signée par plus de 250 joueurs de DEL (dont des étrangers), entraîneurs et dirigeants.

Il reste un espoir : le 1er mars prochain, les clubs de DEL se réunissent, et il faut deux tiers des voix (soit 11 clubs) pour annuler cette règle. Max Fedra, le manager de Munich, a confiance, faisant remarquer sarcastiquement que "la DEL est bien connue pour revenir sur ses décisions".

Et pendant ce temps, Hans Zach, à la fois entraîneur de Kassel et de l'équipe nationale, qualifie cette dernière pour les Jeux Olympiques malgré les bâtons sans cesse mis dans les roues des joueurs allemands. Il se veut bien loin de ces contingences, ayant déjà montré l'exemple à Kassel en faisant confiance à de jeunes allemands et en obtenant des résultats significatifs à l'encontre des préjugés en cours en DEL. Il annonce déjà pour la saison prochaine que son équipe jouera avec douze étrangers et douze Allemands.

Marc Branchu

 

La situation en chiffres

Gernot Tripcke, le président de la DEL, annonce qu'il est persuadé qu'il y aura plus de joueurs allemands l'an prochain que cette année. Si jamais c'est le cas, l'augmentation sera bien moindre que prévue (puisque la limitation supplémentaire des joueurs étrangers était déjà connue) et sûrement bien en dessous de ce qui serait nécessaire.

Pour faire le bilan de la situation, j'ai calculé le nombre de joueurs allemands nés en 1978 ou avant (et qui auront plus de 23 ans l'année prochaine) qui jouent cette saison dans chacun des clubs de DEL. Il apparaît clairement que certains devront chercher du travail ailleurs avec cette nouvelle règle, si les clubs exploitent au maximum le nombre d'étrangers autorisés.

Augsbourg 5*, Berlin Capitals 7*, Eisbären Berlin 3*, Cologne 7*, Düsseldorf 9*, Essen 6, Francfort 5*, Hanovre 5, Iserlohn 4, Kassel 7*, Krefeld 3*, Mannheim 5*, Munich 5*, Nuremberg 3, Oberhausen 7*, Schwenningen 4*.

* dont un deuxième gardien.

 

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